Le marché
S'il y a un endroit où j'aime flâner par-dessus tout, c'est bien les vieilles rues étroites des villages médiévaux. Au fil de mes pas, là, je hume le temps. Non pas le temps qui passe, mais celui qui perdure. Les vestiges de ces milliers de vies qui nous ont précédés.
J'étais venue un jour de marché. Cela complétait en moi cette certitude de continuité entre l'histoire et la vie : ma vie et celle de tous ceux qui, comme moi, flânaient dans une démarche affairée, entre le plaisir et le travail.
Comme d'habitude, il fallait se faire un chemin sur les antiques dalles de pierre, entre les façades ocre et les caisses de vivres posées en partie sur le sol, jusqu'au tiers de la rue. Mêmes fruits juteux, bigarrés. Mêmes légumes dodus, luisants, exhibés depuis des siècles aux regards envieux, concupiscents, de ces milliers de femmes obligées en cuisine.
Le beffroi se dressait immuable, juste au bout de la rue. Gardien du temps,il bourdonna dix heures. J'aimais l'entendre gronder le rythme de nos vies. Je pris une grande inspiration par les yeux, par le nez, par les oreilles, par la peau. Les couleurs, les odeurs, les sons me propulsèrent au plus profond de mon enfance. Je faillis un instant chercher la présence de ma mère, quand elle me tenait par une main, son panier à provisions de l'autre. J'avançais dans ma ruelle en zieutant mon beffroi. Je me sentis légère, légère, presque irréelle.
Il sera toujours dix heures quelque part...