La complainte du nez
Je me trouve beau...
Mais si froid !
Impersonnel et solitaire
Que suis-je devenu ?
À force de partout me fourrer,
Je me suis enfermé
Dans les affaires des hommes.
J'étais le gardien de leurs sens,
Le protecteur de leurs faux pas...
Le père de découvertes,
Le roi de l'inventif !
L'ingénieur même
De la mesure au pif !
Me voilà esclave.
Lisse, aseptisé
Greffé si je suis laid.
Sans ride ni regard
Autre que sur les règles graduées
De normes assoiffées.
Je contrôle, j'évalue,
Je pèse.
Je suis un nez perdu
Dans l'échelle des sens.
Ô toi rose qui se laisse tuteurer !
Devenue inodore à force de beauté...
De la volupté de l'églantier
Qu'as-tu fait ?
Et toi séditieuse mouflette ?
Est-ce ton tour ?
Où vas-tu me réveiller ?
Rends-moi le visage de la vie,
Celui des grimaces et des rires !
Que je sois à nouveau
Le chantre des plaisirs
Celui qui adoube tous les corps aliénés.